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Une affaire « digne d’un film à la Scorsese » devant le tribunal correctionnel


Le prévenu avec son conseil, Me James Lau.
Le prévenu avec son conseil, Me James Lau.
PAPEETE, le 13 novembre 2018 -Le prévenu, exerçant dans le domaine du rachat d’or, avait été mis en cause suite à l’audition d’un cambrioleur. L’homme comparaissait ce mardi devant le tribunal correctionnel pour une série de délits dont ceux de « recel de vol », « détournement de fonds » et « travail dissimulé. » Plus de 52 kilos de perles avaient notamment été découverts à son domicile et à son bureau. Il a été condamné à quatre ans de prison dont un an avec sursis.

Selon l’avocat de l’un des trois prévenus poursuivis ce mardi, c’est une affaire « digne d’un film à la Scorsese » qui a été jugée par le tribunal. A l’origine : un cambriolage avec un butin de 5 millions de bijoux à la clé. Le 27 octobre 2014, l’auteur de ces faits est interpellé. L’individu donne rapidement le nom de l’homme auquel il s’adresse pour revendre la marchandise. Entendu à son tour, l’intermédiaire désigne Léon A, un racheteur d’or, comme étant celui auquel il revend les bijoux volés. Les enquêteurs décident alors de s’intéresser à cet individu.

Deux perquisitions sont effectuées à son domicile et dans ses bureaux, En tout, ce sont plus de 52 kilos de perles et keshis qui sont saisis, sans qu’aucun justificatif ne puisse déterminer leur provenance. De nombreux bijoux sont également découverts. Dans la pizzeria dirigée par Léon A, aucun employé n’est assuré. La justice soupçonne l'homme de se servir de ce commerce pour blanchir de l’argent. Enfin, les enquêteurs découvrent qu’un litige l’oppose à la veuve d’un riche homme d’affaires. La vieille dame, qui veut acheter un appartement à son fils qui souffre de troubles psychiatriques, a confié un collier de grande valeur à Léon A. La pièce, offerte par son mari il y a plusieurs décennies, vient de chez Harry Winston, l’un des plus grands joailliers sur la place mondiale. Elle est notamment composée d’un saphir et vaudrait au moins dix millions. Lorsque la veuve lui remet le collier, Léon A lui donne de l’or en garantie. Quelques temps plus tard, il se présente chez la vieille dame en lui expliquant qu’il a revendu son collier pour la modique somme de 34 000 dollars à Hong-Kong. Accablée, la veuve refuse de prendre l’argent et de lui rendre l’or prêté en gage. L’homme décide alors de porter plainte contre la malheureuse pour récupérer sa « garantie. »

« Bijoux sous le manteau »

A la barre du tribunal ce mardi, Léon A comparaît auprès de son intermédiaire, qui est poursuivi pour recel. En son absence, l’auteur du cambriolage du 27 octobre est jugé par défaut. Le président du tribunal s’intéresse à une transaction qui avait eu lieu au fond d’une servitude, et au cours de laquelle le receleur et un jeune mineur avaient revendu des bijoux à Léon A. Sur l’origine de ces marchandises, le tribunal s’interroge et s’adresse à Léon A : « Quand vous voyez un jeune de 16 ans en short et en tee-shirt qui vous attend au fond d’un chemin et qui vous montre des bijoux sous le manteau, cela vous semble normal ? » « Pour moi, il n’y avait pas spécialement de doutes sinon je ne les aurais pas achetés » répond Léon A qui affirme que dans son milieu, les choses se font « souvent » de cette manière.

Le jour de sa convocation à la DSP, Léon A était arrivé avec plus de deux heures de retard en possession de quelques bijoux, ce qui fait dire au président du tribunal ce mardi que le prévenu a peut-être utilisé ce laps de temps pour faire disparaître sa machine à fondre et son stock d’or. « Mon stock d’or m’a été volé par mon beau-fils. Je n’ai pas porté plainte contre lui car je ne voulais pas lui créer de problème », se défend Léon A en indiquant qu’il ne sait plus vraiment où est sa machine.

« Parole contre parole »

A propos du collier de grande valeur revendu à Honk-Hong pour la somme de 34 000 dollars, Léon A dit avoir été trop « naïf » de ne pas avoir demandé de facture. L’homme est honnête, il en veut pour preuve : pourquoi aurait-il donné une garantie à la vielle dame ? De plus, il conteste la valeur du collier. C’est donc parole contre parole, bien qu’un bijoutier réputé à Tahiti ait affirmé que le collier était une pièce de prestige.

Entre 2012 et 2014, le compte de Léon A a été crédité de plus de 128 millions de francs, 9.6 millions de francs en espèces y ont été déposés. L’homme détient également des comptes aux Etats-Unis et à Hong-Kong, les parts d'une SCI en Martinique et des biens immobiliers en métropole. Les enquêteurs ont retrouvé des traces d’exportation de lingots et des paiements effectués par une société chinoise sur le compte du prévenu qui, outre une certaine naïveté, ne concède pas grand-chose sur l’intégralité des faits qui lui sont reprochés lors de sa comparution ce mardi. Il ajoute même qu’il est victime de la « mauvaise réputation » liée à sa profession.

« Une belle histoire »

Le représentant des douanes, qui rappelle que Léon A ne possédait pas de carte de négociant en commerce de perles, demande une amende de 12 millions et la confiscation de la totalité du stock des 52 perles, keshis et rebus.

« Aujourd’hui, M. A nous a raconté une belle histoire dans laquelle il est tantôt un excellent professionnel, tantôt une personne naïve et crédule. Nous n’y croyons pas une seconde » plaide le conseil de la veuve qui réclame 18 millions pour le préjudice matériel subi par sa cliente.

Le procureur de la République, qui requiert huit et trois mois de prison à l’encontre des deux autre prévenus poursuivis pour vol et recel de vol, ne croit pas non plus aux explications de Léon A : « je suis sidéré par son absence de professionnalisme, sidéré d’entendre qu’il considère qu’il a agi en professionnel en achetant des bijoux à un jeune mineur dans une servitude. » Pour le représentant du ministère public, qui requiert quatre ans de prison dont deux avec sursis à l'encontre de Léon A, l'homme a profité de l’état de faiblesse de la veuve en ayant tout à fait conscience de la valeur du collier.

L’on se croirait dans un" film à la Scorsese", ironise l’avocat du receleur lors de sa plaidoirie : « d’un côté, nous avons une pizzeria autour de laquelle gravitent des activités occultes, de l’autre, nous avons deux jeunes pieds nickelés qui ont commis ce recel pour se faire un peu d’argent. »

Pour la défense de Léon A, Me Lau affirme que son client a agi en toute « transparence » : « ce n’est pas à lui de faire des investigations pour savoir d’où viennent les bijoux. »

Après en avoir délibéré, les magistrats condamnent Léon A à quatre ans de prison dont un an avec sursis mise à l'épreuve pendant trois ans et à une amende de 10 millions. La justice ordonne la saisie de ses biens immobiliers en métropole, de ses parts de la SCI en Martinique, et l'interdiction définitive de gérer une entreprise commerciale. Il devra également payer une amende douanière de 12 millions et indemniser la veuve à hauteur de 10 millions pour le préjudice matériel subi.

Rédigé par Garance Colbert le Mardi 13 Novembre 2018 à 16:14 | Lu 3731 fois